dans les coulisses de l’entreprise

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Ceci est une histoire de couture. Et pourtant je n’y connais rien en couture. Ou presque. Je me souviens de quelques cours quand j’étais jeune fille, cela a duré le temps d’une jupe droite bleu marine qui rimait avec austérité : j’ai laissé tomber. Si ce n’est quand même que je me retrouve à faire de mon métier celui de couture. Un métier de haute couture même, avec une matière toutefois moins docile et malléable que les tissus, me semble-t-il, à savoir le vivant. Et pas n’importe lequel : celui des humains, qui se déroule avec comme fil l’invisible.

Ce matin-là j’arrive à l’usine et démarre la journée, une charlotte sur la tête, des chaussures de protection aux pieds et portant une blouse blanche en papier jetable. J’adore me retrouver ainsi à l’atelier avec ces hommes, ces femmes, ces machines, ces odeurs et ces couleurs ! Marcher dans les allées en respectant les règles de sécurité qui rappellent combien la vie est fragile et qu’une chute ou qu’un mauvais pas peut entraîner sa fin ; se laver les mains ; regarder en traversant ; mettre des bouchons dans les oreilles ; descendre les escaliers en tenant la rampe… Ici, nous ne sommes pas dans les concepts ni les hautes sphères de la stratégie. Ici, tout prend corps : être attentif à soi est la priorité pour rester debout et être en mesure de donner le meilleur. Les machines sont rutilantes et en ordre de marche, l’atelier est lumineux, impeccable : rien n’est laissé au hasard. Les salariés sont également particulièrement bien soignés. C’est eux qui le disent, ils sont très gâtés. Et pourtant.

Je suis là pour les aider à raccommoder, à découdre et recoudre des nœuds. Qui ne se voient pas ; en apparence. Regarder, observer, écouter, humer, marcher, ressentir pour découvrir l’histoire qui m’a été par ailleurs contée. Ici même, les mots prennent corps, tout comme les maux. Au-delà de cette réalité en apparence bien huilée, comme cette photo de famille prise l’été, où tout le monde sourit bien bronzé, j’entrevois ce qui ne se voit pas, ce qui ne se dit pas. Les mauvais pas dans les départs comme dans les arrivées. Les « bonjour » qui sonnent comme des « au revoir ». Les trous, les déchirures, les retours en arrière et les marches en avant, les points manquants. Ce qui, en d’autres termes, correspond aux maladresses, aux petites phrases assassines, au manque ou à l’absence de communication ou de reconnaissance, au manque de considération, aux faux semblants… Flou artistique sur tout ce qui ne rentre pas dans les mails, les tableaux Excel et les PowerPoint. Au contraire, ce qui s’inscrit et se grave, parfois profondément dans les cœurs pour laisser place aux rancœurs, à donner parfois des hauts le cœur.

Prendre le temps. D’être ensemble et de se dire. De se rencontrer. Tout ce qui en apparence semble aller à l’encontre de l’efficacité et de la rentabilité. Prendre le temps de se regarder, de se parler en face à face, de s’estimer et de se pardonner pour les rendez-vous manqués. Prendre le temps de se reconnaître, d’être simplement humain. Cela semble tellement simple. Et pourtant, c’est tellement compliqué de briser les barrières de la peur.

« Mais à quoi ça sert ? » disent-ils. J’aide les regards et les cœurs à s’ouvrir pour vider les rancœurs et remplacer la méfiance par ma confiance. J’aide à assainir les fondations pour permettre de nouvelles constructions. Je recouds l’invisible. Ou plutôt, j’aide à recoudre l’invisible. Afin que chacun et chacune puisse participer à rénover la « maison » au sein de laquelle on aime travailler, avec passion s’il le faut. Et ainsi mieux l’habiter. Je suis là comme un tuteur destiné à rappeler l’essentiel du bien vivre et du bien à être ensemble. Pour soi, pour l’autre, pour l’entreprise.

Elle est là, ma mission. Être une « passeuse » qui aide à restaurer une humanité abîmée, au cœur de la cité, là où « efficacité » a pris le pas sur « aimer ».

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